Festival de Salzbourg 2025. Une Maria Stuarda mortelle … d’ennui.
Au festival de Salzbourg, l’échec cuisant, scénique autant que vocal, de Maria Stuarda, incapable de convaincre de la magie de la partition de Donizetti.

Kate Lindsey (Elisabetta), Lisette Oropesa (Maria Stuarda) © Salzburger Festspiele/ Monika Rittershau
Cherchez dans les archives, Salzbourg n’a pas de tradition belcantiste. Certes, Don Pasquale était de la première saison italienne, en 1931, avec le Barbier de Séville. Riccardo Muti avait fait sien le premier en 1971/72, pour son premier opéra ici, comme Claudio Abbado avec le second, en 1968/ 69, pour deux spectacles brillants dans l’esprit de l’époque., qui au Festival était resté à l’écart des redécouvertes de ce répertoire aux années 50 à 70. Ignorant superbement la génération des Callas, que Karajan avait pourtant dirigée dans Lucia, à Milan, à Berlin, à Vienne, Gencer, Sutherland, Sills, Caballé, Salzboug ne sut pas plus exploiter l’étoile d’Edita Gruberova, dans cette veine qui faisait d’elle une reine, à Munich, à Vienne. Depuis, hors quelques rares concerts, comme la récente Favorite avec Elina Garança, seule Cecilia Bartoli a ouvert l’éventail, en son Festival de Pentecôte, en imposant Norma, Don Pasquale, et quelques Rossini, pas forcément repris l’été.
Et voici que Markus Hinterhauser inscrit soudain au programme 2025 la Maria Stuarda de Donizett, effort louable, mais qui ne s’imposait pas, quand on n’a plus les voix pour l’interpréter au niveau d’exception de Salzbourg. Anna Netrebko et Garança s’affrontant en Anna Bolena, c’était - au Met - il y a 15 ans déjà. Là encore, occasion manquée.
Aujourd’hui, c’est Lisette Oropesa qu’on programme partout dans ce chant orné, à tort et à travers, hélas ! Belle interprète certes, jolie voix, très bien tenue, techniquement parlant, mais qui n’a pas les emportements, les « tripes », nécessaires pour ces rôles de défonce vocale et de folie théâtrale que sont les grands Bellini et autres Donizetti ; on l’a vérifié à l'Opéra Bastille, avec Les Puritains récemment. Trop sage ! Alors ,lui confier le Figlia impura di Bolena,de la Reine d’Écosse, et son Vil bastarda, quelle impasse ! On le constatera tout au long, sa Maria Stuarda ne décolle pas, même pour les instants d’émotion pure de l’acte final (Deh ! Tu di un’umile preghiera…). Élégants, oui, mais ni racés, ni saisissants. On restera définitivement dans la joliesse, et non dans l’ardeur et l’étreignant.

Lisette Oropesa (Maria Stuarda) © Salzburger Festspiele/ Monika Rittershau
Pour Elisabeth, la jalouse, c’est pire : Oropesa sait ce qu’est le bel canto, Kate Linsdsey n’en a l’idée ni du style, ni des appuis, ni des couleurs. Elle chante sur ses limites en permanence, y perdant le poids naturel de son timbre, qui convainquait l’an dernier dans son beau Nicklausse ici même. Et si aedeur il y a, un peu, c'est dans un style romantique, quasi vériste. Quand , au maintien, royal de ton, d'autorité, c'est encore autre chose.

Kate Lindsey (Elisabetta) © Salzburger Festspiele/ Monika Rittershau
Quand ce sont le Leicester de Bekhzod Davronov, beau ténor à la grâce vocale réelle, et le Talbot d’Aleksei Kulagin, au baryton phrasant noble, qui offrent le meilleur de la soirée en matière de style - si l’Anna de Nino Gotoshia est plus que probe, le Cecil de Thomas Lehman manque lui de profondeur, - on saisit l’ampleur du malaise.
Contraint par les limites de l’équipe vocale, Antonello Manacorda n’a aucune âme qui chante à faire résonner dans l’orchestre. Celui-ci a beau être Vienne, magnifique de son, et jouer l’esthétisme de la partition, le drame reste absent.
Pouvait-on au moins se réfugier dans les beautés d’un spectacle à faire rêver ? Las, l’art scénique, très constant, d’Ulrich Rasche consiste à construire des tournettes inclinées qui pivotent au dessus du plateau comme pour mettre en danger les interprètes, les forcer à la tension : on l’a appris par son Elektra à Genève. Si prouesse il y a alors, c’est bien que solistes et corps de ballet (de la Salzburg Experimental Academy) - un apport du metteur en scène, pas du compositeur - arrivent en permanence à trouver un équilibre précaire sur une pente changeante à tout instant. Quand on s’occupe de cela, on n’a pas l’esprit à son rôle. Cela réduit la mise en scène à une suite de poses d’un instant, à reprendre aussitôt, dans le rythme de la partition… un pléonasme permanent. Seuls les chœurs cachés dans les cintres échappant aux contorsions chorégraphiés par Paul Blackmann, dont la cohorte d’éphèbes en pagnes blancs accompagnera de ses déhanchements les adieux de la reine condamnée, mais tombera de la tournette au sol, pour la laisser seule face à la mort. Esthétisme homo-érotique, où vas-tu te nicher ?

Lisette Oropesa (Maria Stuarda) © Salzburger Festspiele/ Monika Rittershau
Elektra n’avait qu’une tournette, ici elles sont deux qui se font face, se frôlent, se cachent l’une l’autre… Au dessus, on est en blanc (les gens de Marie), ou en noir (ceux d’Elisabeth). On se demandera d’ailleurs toute la soirée pourquoi Anna est en gris. Car pas question de se croiser, de se mélanger. La rencontre des Reines, point de bascule de l’action, reste celle de ces deux univers distants, réduits au seul niveau du symbole simpliste. Faut-il préciser qu’au bout de 10 minutes, ce jeu de poses artificielles installe un ennui aussi lancinant qu'exaspérant, que la beauté des éclairages de Marco Giusti, les quelques projections en noir et blanc sur un 3° plateau suspendu des rapports lascifs de Maria à ses amants,

© Salzburger Festspiele/ Monika Rittershaus
et le jeu des formes dans l’espace noir, qui n’en est pas moins magnifique

© Salzburger Festspiele/ Monika Rittershaus
n’y changeant rien. Si le bel canto espérait conquérir Salzbourg, ce n’est pas cette fois qu’il aura réussi.
Pierre Flinois
Salzbourg, Grosses Festspielhaus, le 23 août 2025