
Festival de Salzbourg - One morning turns into an eternity et L’histoire du soldat, deux merveilles, courtes, mais exceptionnelles. Episode 2
En coproduction avec le Festival de Salzbourg, le Salzburger Marionettentheater présente L’Histoire du Soldat d’Igor Stravinsky, un enchantement du à la magie des poupées dessinées par Georg Bazelitz, au prodigieux théâtre vocal du récitant Dominique Horwitz, et aux prodiges chambristes des sept instrumentistes menés par le violon endiablé d’Isabelle Faust.
Die Geschichte vom Soldaten (L’Histoire du Soldat)

Le Théâtre des Marionnettes est un incontournable du paysage artistique salzbourgeois. Créé par Anton Aicher en 1913, installé contre le Mozarteum depuis 1971 dans une salle de quelques 300 places d’où il rayonne par une programmation délicieuse qui va de La Flûte enchantée (sur l’enregistrement de Ferenc Fricsay) à l’incontournable Sound of Music de Rodgers et Hammerstein, tube de chaque été, et, depuis 1928, par ses tournées à travers le monde.
Georg Baselitz, le plasticien et peintre star du Néo-expressionisme allemand, aujourd’hui âgé de 87 ans, a eu la chance que dans son enfance, son père construise un castelet dans la demeure familiale. Une façon de survivre. Depuis, il rêvait de dessiner des marionnettes, qui ne soient pas ces jolies figures de tradition exposées dans le Hall de leur royaume à Salzbourg. Marqué par l’enregistrement sonore d’Igor Markevitch avec le récitant de Jean Cocteau, il a eu envie de se confronter à ce mimodrame si particulier de Stravinsky et de Charles-Ferdinand Ramuz, conçu à la fin de la 1° guerre mondiale en Suisse. Un bijou qui revisite le mythe de Faust, avec son pauvre soldat en permission qui vend son violon (son âme en fait) au Diable en échange d’un livre où l’on lit l’avenir. Ce qui lui permettra de devenir riche, de guérir et d’épouser la Fille du roi, mais aussi de finir en Enfer.
Le projet a été un véritable Gesamtkunstwerk (œuvre d‘art totale, selon le terme inventé par Wagner), rassemblant les équipes du Théâtre - ils sont 9 manipulateurs -, les 6 musiciens regroupés autour d’Isabelle Faust, le metteur en scène et créateur des lumières Matthias Bundschuh, le Festival de Salzbourg, la Galerie Thaddeus Ropac, diffuseur des œuvres de Baselitz. Pour un résultat miraculeux de fraicheur et de théâtralité incisive.
Bazelitz a peint ou dessiné les décors très graphiques sur toile qui volent ou papier qu’on déchire, les accessoires (cartes à jouer, livre, violons qui volent) sur du carton,

Le soldat © Salzburger Festspiele / Bernard Müller
et surtout modélisé les marionnettes, dont les maquettes sont exposées dans le Hall de la Haus für Mozart. Merveilles de délicatesse brute, les marionnettes finalisées par Leonhard Winkler sont faites de bois clair taillé en cylindres (les jambes, les corps), de rondelles, (la queue et le corps du Diable), de plaques découpées en formes de mains, de chaussures

Encore moins réalistes, les têtes sont en matière à modeler, malaxée, sculptée, dont les couleurs vives, le marron pour le Soldat, le rouge pour le Diable, le jaune pour le Roi et sa couronne, le bleu pour sa Fille, identifient les personnages.


L’animation, virtuose, fait le reste, et c’est magique et captivant de vérité.
Devant le castelet, ils sont 7, ou plutôt 1 équipe de chambristes tout aussi virtuoses que les manipulateurs cachés derrière les rideaux noirs : avec la clarinette de Pascal Moragues, le basson de Giorgio Mandolesi, le cornet à pistons de Reinhold Friedrich, le trombone de Ian Bousfield, la contrebasse de Burak Marlali, et les percussions tenues par Raymond Curfs, tous des maîtres, et c’est somptueux.

Comme le violon irrésistible d’Isabelle Faust, qui n’a nul besoin de diriger de l’archet pour assurer les réponses mutuelles, et la cohésion d’un ensemble parfait.

La partition de Stravinsky n’en finit plus de virevolter, de ricaner, et de surprendre encore…
Mais le plus extraordinaire, c’est le 8° larron, un Dominique Horwitz qui cumule les voix du Récitant, du Soldat, et du Diable en un feu d’artifice d’intonations, de timbres, de couleurs aux variations infinies, aussi théâtral (l’ironie mordante, l’empathie) que musical, pour répondre à chaque instrument qu’il côtoie.

Une heure de plaisir infini, de musique endiablée (ah, ces marches, du Soldat fatigué, du Diable triomphant), de ravissement visuel, et de théâtre comme on voudrait le voir réinventé tous les jours. Petite forme ? Certes, mais immense joie.
Un souhait ? Que cette merveille soit reprise à Salzbourg - huit séances, c’est peu, surtout quand le bouche à oreille a fonctionné à fond, enfants et accros de musique se partageant les salles pleines. Et pourquoi pas aussi à Paris lors d’une tournée future - au Théâtre Déjazet ? - puisque Dominique Horwitz est français et peut donc reprendre le texte de Ramuz dans sa langue originale ?
Pierre Flinois
Salzbourg, Marionettentheater, le 3 août 2025
Voir et revoir : c’est trop tard.
Écouter : Pour rêver sur le spectacle, l’enregistrement d’Isabelle Faust et Dominique Horwitz, qui donne le texte en français cette fois, paru en 2021 chez Harmonia Mundi.