Chaque théâtre est une maison de fous, l'opéra est le compartiment des incurables
(Franz von Dingelstedt)

LES CENT-CINQUANTE ANS DU FESTIVAL DE BAYREUTH, À  L’ÉTÉ 2026

Analyse

Le Festival de Bayreuth, le plus ancien de tous les festivals lyriques actuels, fêtera ses 150 ans en juillet /août 2026, avec pour la première fois à son programme, l’apparition de Rienzi sur la scène du Festspielhaus.

C’était il y a quarante neuf ans déjà ! En 1976, le Festival de Bayreuth avait  réussi à faire de son centenaire un événement mondial, tant le Ring de Wagner, monté par une équipe française y avait marqué l’Histoire : Pierre Boulez, Patrice Chéreau avec Richard Peduzzi et Jacques Schmidt entraient dans la légende du lieu, en bouleversant la représentation wagnérienne par une modernité de ton, d’esprit et de vision qui avait provoqué un rejet et un scandale absolu. Mais qui avait été fêtée, 5 ans plus tard, par une heure et demi d’applaudissements enthousiastes.

Une révolution qui mettait définitivement fin à l’ère du Neues Bayreuth de Wieland Wagner, décédé en 1966, qui avait pourtant, lui aussi, révolutionné à partir de 1951, la mise en-scène des œuvres de Wagner en particulier, et d’opéra en général, de façon indélébile. Ce Ring de Chéreau/Boulez ouvrit la voie à un demi-siècle de créativité, parfois outrée, restée permanente sur les scènes lyriques du monde entier. N’oublions pas que le seul testament artistique de Richard Wagner fut la phrase : « Kinder, schafft Neues ! » (les enfants, faites du neuf !

Après la mort de l’ainé des petits-fils de Wagner, son frère Wolfgang avait transformé dès 1967 Bayreuth en Atelier, mélangent la modernité de son frère ainé devenue tradition mal digérée, et des flashes parfois sidérants de théâtralité (le Tannhäuser de Götz Friedrich, le Hollandais volant et le Ring signés Harry  Kupfer, le Tristan et Isolde créée par Heiner Müller…) soutenus dans la fosse par des baguettes innovantes d’un Boulez, d’un Giuseppe Sinopoli, ou plus traditionnelles d’un Daniel Barenboïm, d’un Christian Thielemann.

Quand, après avoir produit des Meistersinger contestés, mais brillants, Katharina Wagner prit la succession de son père en 2008, le Temple wagnérien devint le porte-étendard assumé du Regie-Theater le plus engagé, révolution permanente nécessaire, mais pas toujours convaincante si l’on se souvient du Parsifal illisible signé Christoph Schlingensief, ou du Tannhäuser pauvrement écolo signé Sebastian Baumgarten, mais avec des réussites comme le Lohengrin psychologique pensé par Hans Neuenfels, le Ring déstabilisant de Frank Castorf, le Tannhaüser parfois hilarant de Tobias Kratzer, ou les Meistersinger virtuoses de Barrie Kosky.

Le cent-cinquantenaire qui s’approche sera-t-il l’occasion de marquer les esprits comme le fit le centenaire de 1976 ? On en sait désormais un peu plus sur le programme du Festival de l’été prochain.

Comme en de nombreuses occasions dans l’histoire du Festival, la IX° symphonie de Beethoven marquera de  sa présence tutélaire la commémoration, le 25 juillet. C’est Christian Thielemann, de retour cet été  au pupitre de Lohengrin après quelques années d’éloignement, qui la dirigera, après Richard Wagner en 1873 pour la pose de la 1° pierre du théâtre, Richard Strauss en 1933 pour le cinquantenaire du décès du compositeur, Wilhelm Furtwängler en 1951 et 1953 pour marquer l’inauguration du Neues Bayreuth, suivi, de Paul Hindemith en 1954, de Karl Böhm en 1963, année des 150 ans de la naissance du compositeur, et de Thielemann lui-même en 2001 pour marquer les 125 ans  du Festival et les 50 ans du Neues Bayreuth. Le quatuor vocall sera cette fois composé d’Elza van den Heever, Christa Mayer, Piotr Beczala et Georg Zeppenfeld.

Si en 2023, le Festival annonçait  au programme de ces fêtes de 2026 les 10 opéras traditionnels, auxquels s’ajoutait pour la première fois au Festpielhaus - et contre la volonté programmatique de Wagner qui l’avait renié finalement pour des raisons artistiques - Rienzi, son premier triomphe à Dresde en 1842, l’annonce s’est heurtée à la dure réalité financière du moment. Et le programme des festivités s’est depuis réduit comme peau de chagrin.

Rienzi demeure, heureusement, pour 9 représentations (le 26 juillet, les 3, 8, 14, 17, 19, 22, 24 et 26 août). Un rythme soutenu pour le tribun d’Andreas Schager, vu le côté écrasant du rôle-titre et les 4 heures 40 de la version originale de Dresde, ballets et cortèges compris. On annonce cependant une « Version de Bayreuth » raccourcie - mais la discographie montre que trop de coupures tue l’œuvre  (voir ’Avant-Sçène Opéra N° 270) - version confiée à la baguette de Nathalie Stutzmann, si heureuse dans Tannhäuser, et mise en scène par le duo Magdolna Parditka et Alexandra Szemeredy, qui a  de nombreuses mises en scène wagnériennes à son actif à Budapest, et un Ring qui a fait remarqué à Sarrebruck.  Gabriela Scherer (Irene), Jennifer Holloway (Adriano), Michael Nagy (Paolo Orsini) et Matthias Stier (Baroncelli) complètent la distribution.

Assurément, ce Rienzi, fera évènement unique, puisqu’il ne sera joué qu’en cet été 2026. Une main tendue aux œuvres du jeune Wagner d’avant le grand Wagner ? Certes Bayreuth les a croisées, mais toujours hors Festspielhaus, Les Fées à la Stadhalle, en 1967, suivie de La Défense d’aimer en 1972, les 2 dans le cadre des Rencontres Internationales de jeunesse de Herbert Barth, puis à nouveau, avec cette fois Rienzi, en 2013, en parallèle au Festival du bicentenaire.

Mais des 10 ouvrages du programme traditionnel à Bayreuth initialement annoncés, ne subsisteront que 3 cycles d’un Ring surnommé 10010110 – from Myth to code. Avec comme seul commentaire introductif de Markus Lobbes, le directeur le l’Académie pour le théâtre et le digital de Dortmund, la phrase sibylline : « Qu’arrive-i-il quand la scène elle-même commence à penser ? »  On pourra y entendre Thielemann dans la fosse et le Wotan de Michael Volle, la Brünnhilde de Camilla Nylund, la Fricka d’Anna Kissjudit, la Sieglinde d’Elza van den Heever, et Klaus-Florian Vogt alignant Loge, Siegmund et les 2 Siegfried, une prouesse encore jamais réalisée dans un cycle à Bayreuth.

Cette rencontre du numérique et de la partition pourrait aussi faire sensation, d’autant qu’il sera aussi réservé au seul été 2026.   

S’ajouteront, les 29 juillet et 6, 18 et 23 août, quatre représentations du Hollandais volant vengeur voulu par Dmitri Tcherniakov, toujours dirigé par Oksana Lyniv, avec le Hollandais de Nicolas Brownlee, le drôlatique Wotan de Munich actuellement, le Daland de Mika Kares et le retour à Senta, mais pour 2 soirs seulement, d’Asmik Grigorian, qui en avait été la première interprète en 2021. Et quatre autres, du Parsifal imagé en version augmentée par Jay Schieb voici 2 ans, dirigé par Pablo Heras-Casado, avec Andreas Schager (Parsifal), Miina-Lisa Värelä (Kundry), Michael Volle (Amfortas), et Georg Zeppenfeld (Gurnemanz), les 31 juillet, 10, 20 et 25 août. Dans les deux cas, rien de vraiment neuf, contrairement au retour aux origines que symbolise Rienzi et à ce Ring qui pourrait ouvrir une nouvelle ère.   

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