Chaque théâtre est une maison de fous, l'opéra est le compartiment des incurables
(Franz von Dingelstedt)

Festival de Bayreuth 2025. Le triomphe d’un Lohengrin à l’orchestre somptueux.

Critique

Quatrième et dernière apparition à Bayreuth de la médiocre production de Lohengrin présentée en 2018, reprise en 2019, puis, vu les incidences du Covid sur la programmation, en 2022 seulement. C’est la présence de Christian Thielemann dans l’abîme mystique qu’on applaudit, tant sa direction stupéfiante d’attention et d‘équilibre permet à l’orchestre du Festival d’atteindre des sommets de beauté formelle.

Piotr Beczała (Lohengrin). Bayreuther Festspiele © EnricoNawrath-press



À Bayreuth, une nouvelle production de Lohengrin est annoncée pour 2027, avec pour héros le ténor américain Michael Spires - qui y chante cet été Siegmund et Walther. En attendant, le Festival propose pour la quatrième et dernière fois la reprise de la médiocre production de Yuval Sharon, créée en 2018, reprise en 2019, puis ,vu les incidences du Covid sur la programmation, en 2022 seulement. 

Ce n’est assurément pas pour la revoir qu’on revenait à Bayreuth cet été, mais bien pour ce qu’on espérait entendre surgir de l’abîme mystique, ainsi que pour la première apparition d‘Elza van den Heever sur la Colline verte, que l’on pourra réentendre en Sieglinde et dans la IX° Symphonie de Beethoven l’été prochain.

La production, assurément, n’a pas changé. Elle ne dérange en fait que ceux qui cherchent en sus d’une direction d’acteur d’exception, un travail sur le sous-texte, les contenus possibles, les éclairages révélateurs, en parallèle au respect de ce que disent la partition et l’esprit de l’œuvre, tout ce qui peut faire la richesse (mais aussi hélas, l’impasse) du travail de mise en scène contemporaine. Katharina Wagner n’avait pas fait le meilleur choix à l’époque, mais suite au retrait d’Alvis Hermanis du projet initial, Sharon n’était qu’un remplaçant de quasi-dernière heure.   

Les idées fortes de son projet ? La maltraitance faite aux femmes, vue de façon simpliste : Elsa de Brabant, déjà ligotée à son apparition devant le Roi, bientôt menée au bûcher,

Elza van den Heever (Elsa von Brabant), Bayreuther Festspiele © EnricoNawrath-press

est certes libérée par l’arrivée du héros de son rêve, mais pour être à nouveau entravée, au duo de la chambre, lourd symbole de la domination autoritaire d’un mari qui ne veut pas d’une femme libre.

La société ne fait guère mieux avec ses suivantes au cortège nuptial, par ailleurs d’une pauvreté scénique  aussi répétitive que désespérante. Et puisqu’il faut bien une idée «éclairante», Sharon avait repris celle décorateur Neo Rauch qui, à l’écoute du Prélude, avait eu la vision d’un pylône électrique dans un paysage bleuté. Nous voilà donc avec une panne générale d’électricité en Brabant, que l’ingénieur Lohengrin vient réparer en atterrissant avec son drone en forme d’albatros en plastique blanc, au sommet d’un transformateur dont les grands isolateurs sont tombés au sol… Tous les personnages sont pourvus d’ailes de coléoptères (une mutation génétique ?), et puisqu’on est à Anvers, tous portent des cols blancs façon Tableaux hollandais du XVII° siècle (le Roi a droit à de la dentelle froufroutante, Lohengrin à une fraise pour son mariage), qui permettent de les distinguer un peu dans la pénombre. Le peuple porte bonnet, les coiffures des grands sont poudrées de gris, et Ortrud a un sac à main chic…  Ajoutons l’apparition finale de Gottfried, le frère d’Elsa, en Petit bonhomme vert Cetelem, parfaitement risible.

Elza van den Heever (Elsa von Brabant), un figurant du Bayreuther Festspiele (Gottfried). Au fond : Piotr Beczała (Lohengrin). Bayreuther Festspiele © EnricoNawrath-press
Lohengrin Acte 1. Choeurs du Bayreuther Festspiele. Bayreuther Festspiele © EnricoNawrath-press

Et pour ce qui est de l’action du drame wagnérien ? Le combat dans les airs qui s’achève vite au sol, est du plus haut grotesque, la première scène de l’acte II, si dramatique est d’un noir tel qu’on n’en distingue rien, sauf la tour d’Elsa au loin, devant des belles aquarelles de ciels bleus profonds et  tourmentés.  Et on finira par le départ prosaïque du héros sans aucun mystère, laissant derrière lui un cadavre et deux femmes défaites, et un Brabant sans avenir clair. Rien à attendre de tout cela, tant Sharon s’était révélé un piètre meneur de foules, et un directeur d’acteurs d’une parfaite platitude. L’œil se contente donc de l‘esthétique néo-surréaliste du tandem Rosa Loy et Neo Rauch, que le public a huées aux saluts, prenant sans doute la costumière et le décorateur pour le metteur en scène qui, lui, ne s’est pas même déplacé à Bayreuth cet été … Du bleu partout, sauf pour la chambre des jeunes mariés qui éclate d’orange,

Lohengrin IActe III) Elza van den Heever (Elsa von Brabant), Piotr Beczała (Lohengrin).
Bayreuther Festspiele © EnricoNawrath-press

des espaces monumentaux mal utilisés… une forme de banalisation visuelle façon BD de Science Fiction des années 40-50, sans les moyens technologiques du cinéma.

Reste donc à se tourner vers la fosse, où Christian Thielemann revient après deux ans d’absence à Bayreuth, et c’est le point incontestable de cette soirée de première d’une série de quatre représentations

Dès le Prélude, le chef prend son temps, très attentif à sculpter le son, admirablement structuré, équilibré, jamais forcé. Et ce qui frappe, c’est ici la retenue, le refus de l’éclat gratuit, ce sans jamais rien perdre de la dynamique de la partition, ce qui sera la grande leçon de la soirée, particulièrement à l’acte II où, tenant compte du fait que l’Ortrud de Miina-Liisa Värelä n’est guère en voix, il façonne un univers orchestral global comme suspendu dans l’éther, même quand la partition gronde au duo de Telramund et Ortrud, où à l’affrontement des deux femmes en chemin vers les noces. Une leçon aussi stupéfiante de sensibilité dramatique que de poésie frémissante ! 

C’est aussi l’occasion d’apprécier le travail de Thomas Eitler de Lint, qui a pris cet été la succession d’Eberhard Friedrich, le chef des Chœurs qui les dirigeait depuis 2000, et qui a su conserver leur tradition d’excellence. Malgré une réduction des effectifs d’une vingtaine de solistes, annoncée l’an dernier, et quelques - rares - décalages, la qualité demeure, éblouissante : précision, lisibilité, cohérence, et présence vocale magistrale, qui compense leur pauvre utilisation dramatique sur le plateau.  

Thielemann aura donc dirigé les quatre années de cette production, tandis que la distribution a été entièrement renouvelée ; on retrouve d’abord le Lohengrin de Piotr Beczala, entendu 2 jours plus tôt à Munich, sans que la voix accuse ici la moindre fatigue, hors un court instant moins bien projeté aux Adieux. Elle semble même plus libre, plus assurée encore qu’à Munich, question d’entente avec le chef, car il reprend ici un spectacle où, plutôt prudent en 2018, il avait trouvé ses marques, tant son timbre velouté et son legato parfait se trouvent à l’aise dans la battue de Thielemann, qui semble désormais très attentive à ses chanteurs. Et le personnage est autrement présent, dans une production qu’il connaît de fait bien, même s’il l’a laissée entretemps à Klaus Florian Vogt, qui chante désormais Siegfried.

Face à cet idéal, Elza van den Heever, forte de ses récentes  prestations de « grand soprano lyrique » qui ont ébloui Baden-Baden (l’Impératrice et la Chrysothemis de Strauss), Paris (La Vestale), Milan et Paris au TCE (Sieglinde), New-York (Salomé) a la voix idéale pour Elsa, qu’elle a déjà chantée entre autres à Vienne et à Frankfort. La stabilité et la tenue de la ligne de chant, d’une sureté à toute épreuve, le timbre lumineux et chaleureux, la gestion instrumentale du son, faite pour s’intégrer à celui de l’orchestre, sont ici d’une rare beauté.

Un petit regret, le personnage, pris dans les rets de la production qui a si peu de contenu psychologique, exprime trop peu d’émotion, d’autant qu’à jouer le jeu de la victime, elle donne à la prière et à la scène du balcon une forme de naïveté qui ne sied pas à une princesse même malmenée. Espérons qu’elle se soit libérée aux représentations suivantes comme elle le fait à l’acte III.

Olafur Sigurdarson campe un Telramund puissant, et bûté, tandis que Miina-Liisa Värelä passe  étonnamment à travers Ortrud sans marquer vraiment ni vocalement, ni théâtralement.

Olafur Sigurdarson (Friedrich von Telramund), Miina-Liisa Värelä (Ortrud), Bayreuther Festspiele © EnricoNawrath-press

Andreas Bauer Kanabas, qui remplace au pied levé Mika Kares, malade, le fait d’un timbre profond, majestueux et fortement coloré, peu importe que la voix bouge un peu.  Enfin Michael Kupfer-Redecky compose un Hérault  parfaitement adéquat.

Pierre Flinois

Bayreuth, Fespielhaus, le 1° août

Voir la captation de 2018 : Christian Thielemann, Yuval Sharon, Piotr Beczala, Anja Harteros, Thomas Konieczny, Waltraud Meier, Georg Zeppenfeld.  DG - 2 DVD 00044007356166

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