Chaque théâtre est une maison de fous, l'opéra est le compartiment des incurables
(Franz von Dingelstedt)

FESTIVAL D'AIX-EN-PROVENCE 2025 La Calisto

Analyse

Festival d’Aix-en-Provence 2025. L’enchantement sonore de La Calisto de Francesco Cavalli.

Triomphe de l’opéra vénitien du XVII° siècle, avec la première apparition au Festival d’Aix-en Provence de la Calisto de Francesco Cavalli, dans les moires somptueuses de l’Ensemble Correspondance, mené par la baguette de Sébastien Daucé.

Anna Bonitatibus (Giunone)
© Ruth Walz

S’il reste beaucoup à découvrir encore de son œuvre lyrique, Francesco Cavalli (1602-1676) n’est plus un inconnu du grand public. Certes, Paris avait longtemps oublié avoir entendu, dès 1649, L’Egisto, suivi en 1660 de Xerse, puis de L’Ercole amante, commandé à l’occasion du mariage de Louis XIV, pour la Salle des Machines du Palais des Tuileries, et qui fut un échec cuisant. Mais après avoir triomphé dans toute l’Europe, la production du compositeur considéré aujourd’hui comme emblématique de la Venise du XVII° siècle a fini - au moins partiellement - conservée sur les rayons de la Biblioteca Marciana, qui garde 27 des 30 opéras répertoriés et 11 autres attribués à sa plume. La redécouverte de ce fond remonte aux années 60, et doit beaucoup à Raymond Leppard, qui réalisa les premières éditions modernes de L’Ormindo, de La Calisto et de L’Egisto pour les diriger au Festival de Glyndebourne entre 1967 et 1974, ouvrant la porte au lent retour de La Didone, Il Giasone, L’Hipermestra, L’Eliogabalo…
Quarante ans plus tard, Leonardo Garcia Alarcon révélait au public du festival aixois, alors dirigé par Bernard Foccroulle, Elena en 2013, puis Erismena en 2017, confirmant en France l’importance de ce compositeur contemporain de Monteverdi et qui a régné sur l‘opéra vénitien du troisième quart du XVII° siècle.
Sébastien Daucé avait à son tour construit en 2021 Combattimento, La théorie du cygne noir, un spectacle à plusieurs auteurs, qui proposait quelques extraits de La Didone, de L’Egisto, et de quelques autres, ouvrant le chemin à la présente Calisto, qui malgré un accueil réservé à la création en 1651, demeure pour notre époque un exemple parfait d’équilibre entre les tendances seria et buffa de l’opéra vénitien d’alors.
Prévu initialement pour se confronter aux quelques 500 places du Théâtre du Jeu de Paume, le spectacle a finalement migré pour des raisons d’organisation à l’Archevêché où il se confronte aux quelques 1600 places d’un lieu à ciel ouvert. Si on ne remonte pas un Cavalli sans arranger la partition, pareil auditorium impose une véritable métamorphose de la partition : à la création, au Teatro San Apollinare, un opéra de poche comme souvent à Venise, l’orchestre comportait 6 instrumentistes (2 violons, et pour assurer la basse continue, une basse de violon, un clavecin et des chitarrones). Pour s’adapter à l’acoustique peu résonnante de la fosse et au plein air d’Aix, l’ensemble Correspondance comporte 33 pupitres. Sébastien Daucé a donc multiplié violons, violes, violoncelles, et ajouté cornets et saqueboutes, théorbe, guitare, harpes et petit orgue : c’est tout un splendide barnum instrumental qui remplit la fosse. Résultat ? Une séduction sonore absolue, accomplie avec un grand raffinement des proportions ajoutant à la richesse et au relief des timbres fort séduisants des instrumentistes. Et ce pour 3 heures d’enchantement.

Anna Bonitatibus (Giunone) Paul-Antoine Bénos-Djian (Endimione) Lauranne Oliva (Calisto)  Zachary Wilder (Linfea) Dominic Sedgwick (Mercurio)
© Ruth Walz

Côté scène, on découvre un beau et grand salon XVIII° tout en lambris de bois blond, signé Julia Katherina Berndt. Au centre une tournette ouvre et ferme le volume d’un demi-cylindre tendu du même bois, pour ajouter son contraste formel à un espace fort rigide par ailleurs, où seul le jeu des portes latérales ouvertes ou fermées vient animer les épisodes de séduction de Giove /Jupiter courtisant la nymphe Calisto, jeune vierge de la suite de Diana/Diane. Tandis que la déesse chasseresse s’emploie à filer le parfait amour avec le berger Endimione, par ailleurs objet de la détestation jalouse de Pan, le roi des dieux prend l’aspect - robe, bustier, perruque - de sa divine fille pour mieux séduire l’objet de son désir, sensible semble-t-il aux attraits féminins.

Alex Rosen (Giove en Diana) Lauranne Oliva (Calisto)  Anna Bonitatibus (Giunone) Dominic Sedgwick (Mercurio) © Ruth Walz

Transformation foncièrement comique et complice, qui ne peut que faire « marcher » le public, mais qui ne trompera pas Giunone/Junon. Elle vengera son honneur bafoué une fois de plus non sur son époux, mais sur l’innocent objet de sa flamme, en chargeant les Furies de transformer Calisto en ourse, avant que Giove, ainsi empêché d’aimer, ne l’entraine au firmament stellaire, où Ovide nous apprend qu’à sa mort, elle devint la constellation de la Grande Ourse.
Dans ce jeu des métamorphoses divines très codifié, et très identifié au XVII° siècle, la néerlandaise Jetske Mijnssen a trouvé des similitudes - forcées - avec les jeux cruels du Vicomte de Valmont et de la Marquise de Merteuil poussant Cécile de Volanges et Mme de Tourvel au dévergondage. Et donc fait disparaitre le merveilleux des machines et transformations du théâtre vénitien dans l’univers raffiné des Liaisons dangereuses de Pierre Choderlos de Laclos. Rupture stylistique, avec ce décor décalé, ces costumes à paniers ou culottes courtes et bas signés Hannah Clark. Du bon ton, assurément, trop lisse pour jouer la comédie des contrastes appuyés comme Herbert Wernicke l’avait si bien réussi, voici 30 ans déjà, dans une production fameuse à La Monnaie de Bruxelles.
Seuls écarts notables par rapport à la légende comme au livret, le fait que Calisto ne sera pas changée en plantigrade, et surtout qu’elle se vengera en poignardant son séducteur dont on comprend alors qu’on a assisté en fait à la veillée funèbre pendant l’ouverture. Pas de triomphe dans la Voie lactée, mais victoire d’un féminisme actif, donc.
Mais à force de vouloir jouer là une forme de théâtre référencé, élégant et chic, qui s’encanaille juste un rien, et se moque doucement du genre, on perd un peu trop la verve du théâtre original pour trouver une forme d’ennui distingué, que compensent heureusement et très largement la fosse et les chanteurs.


Car l’équipe vocale, en symbiose d’expression avec l’orchestre, est d’excellence, à commencer par le Giove d’Alex Rosen, qui passe avec aisance et subtilité de la basse sonore du dieu, à la voix de tête de la fausse Diana. L’Endimione de Paul-Antoine Bénos-Djian joue de son contre-ténor moelleux pour faire partager les angoisses d’un Endimione amoureux transi aux fragilités d’un Pierrot de la Comedia dell’Arte.

Paul-Antoine Bénos-Djian (Endimione) © Ruth Walz

Méchants parfaits autour du Pan agressif et jaloux de David Portillo, avec Théo Imart en Satirino bien sonore et José Coca Loza en Silvano . Et Mercure complice à l’aigu aisé de Dominic Sedgwick. Seul vrai travesti, la Linfea de Zachary Wilder adapte ses hautes lignes vocales à la sensualité de la nymphe qui rêve du mâle conquérant.
Côté féminin, la palme revient à la grande Anna Bonitatibus, Junon considérable, altière et furieuse mais qui, une fois sa vengeance acquise, adresse à la gent féminine le prenant lamento Mogli mie sconsolate, d’une tristesse véritablement émue. Calisto est incarnée par la très jolie Lauranne Oliva : timbre au sourire charmant, joliesse du chant, présence à rendre plus libre et prenante pour captiver vraiment. La belle Diana de Giuseppina Bridelli est, elle, pas assez délurée pour être marquante. C’est surtout que la direction d’acteurs vive et animée de Jetske Mijnssen a semblé plus adaptée dans sa convention à la folie des hommes qu’à la détresse intime des femmes.

Aix-en-Provence, Théâtre de l’Archevêché, le 12 juillet.

Voir ou revoir cette production : Opéra de Rennes, Angers-Nantes Opéra, Théâtre des Champs-Elysées, Théâtre de Caen, Théâtre de la Ville de Luxembourg, Opéra Grand Avignon

À lire :
Francesco Cavalli La Calisto L’Avant-Scène Opéra N° 254

À écouter :
Francesco Cavalli La Calisto. Raymond Leppard, Ileana Cotrubas, Janet Baker, Teresa Kibiak, Hugo Trama, Hugues Cuenod, James Bowman 2 CD Decca / YouTube
Francesco Cavalli La Calisto. René Jacobs, Maria Bayo, Alessandra Mantovani, Sonia Theodoridou, Marcello Lippi, Graham Pushee, 3 CD Harmonia Mundi

À regarder :
Francesco Cavalli La Calisto. Herbert Wernicke, René Jacobs, Maria Bayo, Louise Winter, Sonia Theodoridou, Marcello Lippi, Graham Pushee, 2 DVD Harmonia Mundi

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