
FESTIVAL D'AIX EN PROVENCE 2025. Une Louise où brille l’étoile d’Elsa Dreisig.
Le Festival d’Aix-en-Provence redonne sa chance à Louise, l’opéra de Gustave Charpentier, en s’appuyant sur une mise en scène dans l’air du temps, et sur l’incarnation captivante du rôle-titre par Elsa Dreisig.

Festival d'Aix-en-Provence 2025 © Monika Rittershaus
Le répertoire des théâtres lyriques est chose vivante : alors qu’il est basé majoritairement sur l’entretien des œuvres du passé, il évolue de façon sensible avec les modes du temps. Qui aurait parié, il y a 50 ans sur la vague des résurrections de l’opéra baroque, ou sur la vivacité actuelle de la création contemporaine, or elles sont devenues aujourd’hui deux des pôles du Festival d’Aix. Mozart n’y règne plus en maître depuis longtemps - on lui réserve cependant encore un opéra par saison - et il laisse ainsi de la place pour l’ouverture à d’autres époques, à d’autres écoles, ce qui fait la richesse et parfois le surprenant des programmations. Le XX° siècle aura attendu 1960 pour s’y inscrire, avec Poulenc et ses Mamelles de Tirésias. Debussy, Strauss, Stravinsky, Britten ont suivi, et bien d’autres encore, tant ce répertoire est vivant. Il en est pourtant des œuvres qui, célébrées en leur temps, sont proches de la disparition aujourd’hui, et la Louise de Charpentier, créée le 1° février 1900, et à ce titre considérée comme le premier opéra du XX° siècle, en est une, très symptomatique de cette désaffection toujours possible. Un triomphe, durable - un demi-siècle, et puis une lente disparition… Son réalisme social engagé, son côté chromo d’une Butte Montmartre idéalisée, son narratif un rien scandaleux pour l’époque - une jeune fille qui choisit l’union libre et l’indépendance, et crie au final : « ce n’est plus la petite fille au cœur timide et craintif, c’est une femme, au cœur de flamme, qui veut reprendre son amant ! » - firent sa modernité même, et son succès indéniable, avec des milliers de représentations en France et à l’international ! Tout cela a passé depuis, survivant dans un air glorieux, que tout soprano s’est juré de chanter au moins en concert, naguère encore au disque. Et sa musique même, à l’opulence réelle, mais si composée, à la dynamique interne sans dynamique irrésistible, sans vrai allant, n’ont guère aidé à inscrire l’œuvre de Charpentier dans la survivance qui dit les absolus chefs-d’œuvre.
La présenter à Aix fait ainsi œuvre de nécessaire réappréciation. Au moins, pour ne l’avoir plus croisée depuis 18 ans - à Bastille, en 2007 – quand Gérard Mortier se posait en défenseur de l’œuvre déjà sur le chemin de l’oubli - a-t-on pu vérifier en live la valeur de ses propres réserves, construites aussi sur quelques productions naturalistes trop sages.
Mais aujourd’hui, plus question de montrer Louise dans sa théâtralité historico-socialisante. Il faut oser trouver une autre approche pour séduire un public qui la méconnait pourtant en majorité. Le choix de Pierre Audi de confier la narration à Christoph Loy se comprend. Le metteur en scène allemand dont le Trittico puccinien vient de triompher à l’Opéra de Paris sait porter un regard incisif sur les œuvres, et particulièrement sur celles du début du XX° siècle. Et effectivement, il a été percutant. Le splendide décor unique d‘Etienne Pluss est celui d’un majestueux hall d’attente qui pourrait être à l’Hôpital Lariboisière, ou à la Pitié-Salpêtrière, où la mère de Louise a conduit sa fille, repliée sur elle-même, pour des soins qui paraissent nécessaires à ses parents déboussolés face à une jeune adulte qu’on force encore à porter un bavoir, mais qui rêve d’un autre avenir que celui de cousette dans un atelier de la Butte.

Festival d'Aix-en-Provence 2025 © Monika Rittershaus
La narration ne sera plus dominée par le récit chronologique du livret, mais jouera de l’exposition de ces rêves d’amour et de liberté - fantasmes ou souvenirs, Loy ne sera pas explicite à ce sujet. Mais à la fin de l’acte IV, quand Louise aura choisi la confrontation définitive à son Père dominateur, et semblera vouloir se jeter par l’une des hautes fenêtres derrière lesquelles on apercevait tantôt un jardin, tantôt le profil de la Butte, un court noir total donnera une réponse explicite : on retrouvera la Louise prostrée du début, ressortant de la salle d’opération où le médecin, sosie de son Julien, et qui n’a détecté ni les manières incestueuses du Père, ni la jalousie de la Mère, l’a lobotomisée, offrant au récit une lecture de l’asservissement des femmes du XX° siècle aux idées dominantes sur leur rôle et leur non-liberté de choix. On admet que tout cela est mené de main de maître… et donne un intérêt réel à la soirée.
Musicalement, c’est une autre affaire. Ce n’est pas la battue du maestro Giacomo Sagripanti qu’on mettra en cause, non plus que les capacités de forces vives de l’Opéra de Lyon. On ne peut guère faire mieux. Mais on avoue n’avoir personnellement plus d’affect pour cette partition, dont on ne pense pas qu’une distribution plus équilibrée aurait changé ce ressenti. Assurément, comme pour Pinkerton l’an dernier, Adam Smith est ici le maillon faible. Avec un jeu engagé, trop axé sur son physique, mais une voix mal gérée, à l’expression un peu trainante, à l’aigu incertain, trop poussé pour être séduisante.
Un Père, Nicolas Courjal, aux belles sonorités profondes, à l’investissement théâtral bien partagé entre la fatigue du travailleur et le côté buté du géniteur trop sûr de son pouvoir, mais perdant un rien d’impact dans un vibrato devenu ample. Une mère, Sophie Koch, qui se voudrait de la haute, mais qui ne peut plus guère que crier son désespoir, sans les splendeurs de timbre d’antan, et avec un médium réduit, entre un aigu et un grave devenus raides, ce que compense une tenue restée exemplaire.

Nicolas Courjal Festival d'Aix-en-Provence 2025 © Monika Rittershaus
La cohorte nombreuse des petits rôles, trognes théâtrales autant que musicales, est parfaitement distribuée. C’est qu’on y croise Annick Massis, Marie-Thérèse Keller, Marion Lebègue, Fréderic Caton…

Festival d'Aix-en-Provence 2025 © Monika Rittershaus
Reste l’étoile de la représentation, comme toujours étonnante d’investissement : Elsa Dreisig avait étonné dans l’Elvira de Bellini à Paris, subjugué dans la Salomé de Strauss, ici même. Elle captive à passer instantanément de la docile jeune-fille écrasée par son environnement, maltraitée par ses parents, définie par son seul enfermement qui la fait se replier sur elle- même, comme une poupée aux vêtements trop grands, à la jeune femme soudain murie par l’expérience amoureuse, rayonnante, heureuse, comme le clame « Depuis le jour où je me suis donnée ».

Festival d'Aix-en-Provence 2025 © Monika Rittershaus
Elle investit tout le rôle de sa voix lumineuse, ductile et ardente, et en explore toutes les nuances de la détresse au bonheur. Et s’inscrit sans peine parmi les interprètes instinctives et marquantes du rôle, pour donner enfin le premier rang à la musique, ce qui manque trop souvent par ailleurs.
Aix-en Provence, Théâtre de l’Archevêché, le 11 juillet